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400 YEARS OF GO IN JAPAN
Par ANDREW GRANT
Peu nombreux sont les ouvrages historiques sur le jeu de Go accessibles au public occidental. Andrew Grant, dans la lignée du travail de titan accompli par des auteurs tels que John Fairbairn et John Power, nous a donc fait ce cadeau d’un livre entièrement consacré à l’évolution historique de ce noble art au Japon. Un ouvrage de référence(s) ?
196 pages l N&B l 31 € l anglais
Titre original 400 Years of Go in Japan
Auteur Andrew Grant
Editeur Slate and Shell
Année 2003
Le trouver Jeudego.com ; Goshop-Keima
Apport: Culture générale, Histoire,…
Vous aimez le Go ? Vous aimez l’histoire ? Vous aimez le Japon ? Et bien, mes chers amis, et disons-le en préambule, vous allez être comblés par cet ouvrage.
Genèse du projet
Ayant entamé ce travail en pur passionné tant d’histoire que de go, Andrew Grant n’entendait pas, à l’origine, donner publication à ses recherches : il écrivait tout simplement, et pour son propre usage personnel, le livre d’histoire qu’il ne trouvait pas en librairie (comme ce doit être le cas pour certains d’entre vous). Mais à mesure que ces travaux avançaient, il trouva rapidement dommage de ne pas soumettre ses articles au British Go Journal pour le plaisir de la communauté anglophone des joueurs. Se faisant, il se décida à élargir son champ d’investigation pour embrasser une période de quatre siècles de go au Japon. Sa première publication d’article intervint dans le numéro 85 du BGJ (p.8) sous la forme d’une série intitulée « Four Hundred Years of Japanese Go ». Après achèvement des trente-trois articles de sa série, l’idée d’une publication en livre se fit sentir. Et après réactualisation de tout ces écrits au regard des découvertes contemporaines, ce fut chose faite en 2003 chez Slate & Shell. Mais pourquoi, me direz-vous, s’appesantir à ce point sur la genèse de ce travail alors que vous n’attendez concrètement qu’une critique du contenu stricto sensu du livre ? Et oui, je vous entends déjà rager au fond en mode « on s’en tape de sa life sérieux ! C’est quoi ce fichu bouquin ? »… petits impatients, va !
Et bien, sachez, pour votre gouverne, que le mode de réalisation et de diffusion, un poil tortueux, de ce projet a induit la construction même du livre, et s’avère donc la cause même de l’intérêt et de la richesse de celui-ci.
En effet, la sérialisation de sa recherche a transformé ce qui ne pourrait être qu’un énième livre académique d’Histoire, avec la superbe et la « pontifiance » de la majuscule, en un livre d’histoires que vous pourriez raconter à vos enfants, petits enfants, petits cousins, petites nièces, etc.
Construction de l’ouvrage
400 Years of Go in Japan est construit en trois parties se décomposant en 29 chapitres qui sont autant de récits brefs (au maximum trois pages) dans lesquels on suit, nous avides lecteurs en mal de sensations fortes, soit le périple de personnages aussi attachants que fascinants, soit le cours d’événements où les émotions humaines s’entrechoquent de manière poignante dans le monde du Go. Chacun de ses chapitres est illustré par le kifu d’une partie de Go, kifu emblématique selon l’auteur du sujet qu’il nous a narré.
Pour vous convaincre de mes dires, et pour assouvir votre curiosité insatiable, voici la table des matières traduite :
Le Commencement
Le Go arrive au JaponSansaLes « Maisons » de GoSan’etsu et SanchiSanchi et DoetsuDosaku, le Saint du GoDosetsu et DochiLa Corruption dans le monde du GoIncho MonnyuSatsugen
L’Émergence du Go moderne
Le Grand SenchiL’ère Genjo-ChitokuJowa et Gen’anLa chute de JowaGen’an et ShuwaShusakuLa fin du Go classiqueHoninbo contre HoenshaShusai
Le Go à l’époque moderne
Nihon Kiin et KiseishaGo Seigen et KitaniLe Tournoi HoninboLe Renouveau d’après-guerreLa Kansai KiinFujisawa et Go SeigenL’Ère TakagawaLe Tournoi MeijinLe Dojo KitaniLe Tournoi Kisei
Avis de Catlois (10-13k) :
Comme vous avez pu le ressentir au fil de cette chronique, je n’ai pas réussi (ni même cherché après tout, soyons sérieux ! ) à dissimuler le plaisir que j’avais eu à parcourir ces quelques 180 pages de récits – que dis-je de récits ? de purs contes fantastiquement et féériquement réels, avec de vrais morceaux de vérité historique dedans, autour de notre passion goïstique commune.
Andrew Grant a réussi le tour de force de permettre la réunion, autour d’un même ouvrage, des joueurs les plus acharnés en mal de connaissances mais aussi des joueurs simplement avides de jolies histoires. Il est, en effet, parvenu à distiller dans l’apparente austérité du jeu, et dans la réelle austérité de sa pratique de l’époque, ce soupçon d’humanité qui fait ressurgir la flamme épique des vieilles légendes et ce, sans délaisser les explications culturelles et techniques nécessaires à une pleine compréhension de l’évolution du Go. Bref, c'est à suivre une aventure palpitante qu'il nous invite dans ce livre.
Le jeu de go est d’ores et déjà un jeu plurimillénaire, et bien connu au Japon depuis le 8e siècle, alors que débute l’histoire de l’auteur, à savoir au début du 17e siècle. Pourtant, les quatre cent années qui suivirent au Japon sont cruciales en ce qu’elles ont révolutionné et remodelé le jeu pour arriver au Go tel que nous le pratiquons aujourd’hui.
Sans chercher à être péremptoire, plutôt désirant vous faire partager un ressenti, le récit historique, celui-là comme un autre, a cela d’intrigant qu’il est enrichi en permanence par l’ambivalence des émotions humaines que sont la prétention et l’humilité, se traduisant par un courant continu de rejets/redécouvertes. Ce sont des émotions propres à l’être humain enferré comme il l'est dans la mélasse de son présent, et voir ainsi se débattre le personnage dans son présent d'alors incite le lecteur du futur à la prudence, à la curiosité et à l’ouverture d’esprit sur les évènements qui l’entourent. Le présent agissant n’est que ruptures, le temps agissant n’est que sélection vers un conformisme. C’est pourquoi le passé réinterroge les bases du présent, les « modes », et permet ainsi son enrichissement pour éviter de tourner en rond tel le hamster dans sa cage. Cette digression philosophico-métaphysico-historico-animalière s’achevant, où diable m’en suis-je allé, et qui pis est, où diable veux-je en venir ?
Et bien à l’affirmation suivante. Vous, joueurs de go, cherchant inlassablement à savoir, pêle-mêle : les raisons pour lesquelles on doit bosser son fuseki et comment le bosser ; d’où le Shin fuseki des années 30 tire ses racines ; les raisons de l’existence de la Kansai Kiin ; les raisons pour lesquelles les écoles de Go ont disparu ; ou encore comment est né le tewari et en quoi cela a révolutionné l’analyse positionnelle et donc le jeu en son entier… et bien, jetez-vous sur ce livre ! Peut-être qu’alors vous-même, et quelque soit votre niveau, vous y trouverez une nouvelle manière d’appréhender le jeu et vos connaissances (et les kifu accompagnant les chapitres sont en cela parfaitement éclairants).
Mais revenons rapidement à ce qui fait le sel de cet ouvrage pour le pauvre double-kyû littéraire que je suis : LES BELLES HISTOIRES BOWWWDEL !!! Alors, disons-le tout net, on a de tout dans ce livre : du sang, des larmes, des trahisons familiales et politiques, de l’amour, de l’aventure, du courage, des irrésistibles ascensions et des chutes vertigineuses, des non-dits, des jalousies, du rire… Bref, des sentiments ! De la vie en somme ! Ce livre se dévore tantôt comme un polar, tantôt comme une fable, avec la joie de s’attacher (ou de détester) les protagonistes à chaque fois, ce qui fait que l’on regrette assez vite que les chapitres soient si courts… On veut plus de détails croustillants, plus de descriptions enflammées et de péripéties chevaleresques, on veut connaître le personnage dans sa vie quotidienne : d’où il vient ? Où va-t-il ? (vers la tombe me direz-vous, en cela le livre d’histoire ne connaît pas le « spoil ») Par quoi est-il passé ? etc.
On ne peut que louer, dès lors, l’écriture concise et précise d’Andrew Grant nous permettant en si peu de phrases d’atteindre ce grand huit émotionnel nous en faisant en redemander encore et encore (et tant pis si c’est par nos propres moyens, et tant pis si cela nous prendra du temps en bibliothèque… mais, sérieusement, on en veut encore !). Ce livre rend donc curieux et c’est sûrement, pour moi, le plus beau compliment que l’on puisse faire à un livre.
Mais c’est aussi pour cette raison que je vais émettre une critique négative sous la forme d’une adresse directe à l’auteur qui n’est malheureusement plus là pour nous répondre.
« Andrew ! Oui, c'est à toi que je parle. Super livre, si si. Bravo pour le travail accompli, c’est excellent, mais vraiment, … vraiment mec ! Tu ne nous aides pas du tout à faire le chemin pour te rejoindre et pour poursuivre ton œuvre. Ca veut dire quoi ça de ne pas mettre de bibliographie dans un livre d’histoire… pas un bouquin en référence (et non, citer une fois le Maître de go de Kawabata ne compte pas) ! Pas un article ! Pas une adresse internet ! Macach, nada, psst… rien. D’accord, c’est pas un livre universitaire touça touça… mais bon, on fait quoi nous si on veut en savoir plus et enrichir le savoir des générations futures (oui, rien que ça ) !
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- Pas faux. Mais bon… pas cool. »
Hum hum… cet aparté de mauvais goût passé, et comme vous le voyez, la critique négative, qui me tient à cœur tout de même en ma qualité de chercheur, ne pèse pas bien lourd face aux multiples qualités de ce livre. C’est intelligent, c’est bien écrit, c’est un ouvrage de passionné pour les passionnés et cela se sent. Bref, à vos porte-monnaies !
« Mais c’est en anglais ? » me direz-vous, le visage morne et l’œil humide, prêt à saisir la première corde qui se tend pour assouvir l’ultime acte de désespoir du francophone en mal de littérature sur le Go. Et oui, c’est en anglais, mais ne prenez pas la corde tout suite car il est sérieusement très facile, mais alors vraiment très très facile à lire pour qui a quelques rudiments dans la langue de la perfide Albion… A titre de comparaison, c’est bien plus facile à lire qu’un Harry Potter à l’époque où, frémissant d’impatience, l’on se refusait catégoriquement d’attendre les trois mois de traduction pour poursuivre les aventures du mini-sorcier désespérant, c’est dire !
Allez, sur ce, bonne lecture à toutes et tous et bonnes parties
Notes sur l'Auteur:
Andrew Grant était un joueur amateur anglais 3-Dan vivant dans le Buckinghamshire. Il débuta son parcours de Go en 1976. Organisateur de nombreux tournois de Go au Royaume-Uni, dont l'European Go Congress de 1983 à Edimburgh, il a été également contributeur régulier pour le British Go Journal, dans lequel il a écrit plusieurs chroniques sur l'histoire du Go. Il était enfin joueur occasionnel sur KGS sous le pseudonyme de "granta". Il est malheureusement décédé le 26 octobre 2009 des suites d'une longue maladie.
Dernière édition par Catlois le Mer 21 Aoû 2013 - 23:34, édité 3 fois