Littérature | Général
First Kyû
Par le Dr Sung Hwa-Hong
Il est vrai que peu de romans sont consacrés au jeu de go, d'autant plus dans les pays occidentaux. Et voilà qu'un passionné de go, résidant à Vancouver, eut la bonne idée d'écrire sur le parcours fascinant et tortueux d'un joueur de go en Corée. Difficile à se procurer de nos jours, il reste un très bon livre qui méritera le temps que vous aurez passé à le chercher...
Poche l 194 pages l N&B l 15 € (prix conseillé) l Anglais
Titre original First Kyu
Auteur Dr Sung Hwa-Hong (윤태호 )
Editeur Good Move Press / Samarkand
Année 1999
Le trouver Au détour d'un site internet spécialisé et d'un bouquiniste... surtout pas sur Amazon.
4e de couverture : Laissez-moi vous raconter une histoire. Une vieille histoire, une vraiment vieille histoire. Savez-vous comment on joue au Go ?
Oui ? Vous êtes premier kyû, un joueur de premier rang ? Vraiment ? Avez-vous déjà participé à un tournoi de qualification pour être professionnel ? Non ? Et bien, vous n'êtes pas, je répète, vous n'êtes PAS premier kyû !
Je sais, je sais. De nos jours, toutes sortes de mauvais joueurs se proclame premier kyû. Cette histoire n'a pas, toutefois, pour sujet ces faux premiers kyû. C'est l'histoire d'un vrai premier kyû. Il y a un type qui tient un bureau de tabac près des chutes du Niagara. Son nom est Shin. Les jours de pluie, il ne cesse de contempler les chutes et de grommeler comme ça : « Je suis sûr qu'ils doivent tous jouer gaiement pour des mises de bangneki là où ils sont... »
Pouvez-vous seulement deviner de quoi il parle ? Si ce n'est pas le cas, accrochez-vous et écoutez ce que je vais vous raconter. Seule une poignée de personnes connaît cette histoire. Donc écoutez bien.
Apport : Une histoire bien construite, une plongée dans le monde des aspirants professionels, une meilleure connaissance de la culture coréenne,...
Avis de Catlois (10-13k) : Disons-le d'entrée, « First Kyû » du Dr Sung-Hwa Hong est au jeu de Go en littérature ce que « Les Joueurs » (Rounders) de John Dahl est au poker pour le cinéma : pas un chef-d'oeuvre dans son genre, ni une œuvre visant à prodiguer une expérience artistique de premier plan, mais un témoignage sincère, doté d'une écriture épurée, propre, efficace et qui s'avère être, pour qui est passionné par le sujet qu'il traite, un incontournable à connaître absolument.
Dans ce roman nous est contée l'histoire de Wook, jeune lycéen issu d'une famille stricte de la classe moyenne coréenne, qui découvre par le plus grand des hasards le Go dans les années 70 et qui va ainsi voir sa vie complètement chamboulée. Après la découverte du jeu, vient la découverte des rangs et l'éblouissement provoqué par la créativité des joueurs de haut niveau. Nous suivrons alors son itinéraire tumultueux de joueur, de clubs de go en tournois, avec pour point de fuite l'aboutissement, le rêve ultime : devenir joueur professionnel et ainsi atteindre le rang de premier Dan.
Comme vous l'avez déjà sûrement compris, dans les années 70, en Corée, le « first kyû » n'a rien à voir avec le rang que l'on connaît aujourd'hui sur KGS. Est considéré comme « first kyû » tout joueur étant arrivé au sommet de la hiérarchie des amateurs mais n'ayant pas encore atteint (peut-être ne l'atteindra t-il jamais) le stade de joueur professionnel par le biais du tournoi de qualification biannuel. Et lorsque l'on sait que seuls quatre joueurs par an pouvaient gagner leurs places dans le monde professionnel parmi des centaines et des centaines d'amateurs, on se doute que la tache était particulièrement délicate. Wook serait plutôt vu aujourd'hui comme étant au rang de 6-Dan amateur. Dr Hong nous plonge ainsi consciencieusement dans cette zone grise où se bousculent les sentiments les plus éprouvants mais aussi les plus gratifiants.
Par delà le plaisir de suivre le parcours d'un joueur talentueux, l'ouvrage trouve son véritable intérêt dans la précision de l'auteur quant aux ressorts psychologiques, ainsi que sociétaux, inhérents à la progression de quiconque se lance dans la voie du go. Rien ne nous est épargné : les joies, l'émerveillement, le travail, l'influence sur la vie quotidienne, le regard de l'autre, les doutes, les déceptions, les remises en question,... tout ceci étant lié par l'écriture de manière fluide et élégante. De plus, cerise sur le gâteau, et même si cet ouvrage n'a absolument aucune visée pédagogique mais un objectif littéraire, il vous sera tout de même possible d'apprendre quelques petits trucs techniques sur le go ainsi que sur les méthodes possibles d'apprentissage de ce jeu magnifique. Enfin, sur le plan culturel, l'auteur parvient aussi à nous faire voir un peu de la vie quotidienne d'un lycéen en Corée dans la période d'après-guerre.
Attention toutefois car, sous ses abords de littérature adolescente, ce livre s'adresse clairement à un public plutôt adulte.
Pour certains, ce serait un équivalent de « Hikaru no Go » pour adulte. En dépit de toutes les qualités de ce livre, je n'irai pas jusque là, et ce pour diverses raisons que je ne peux vous exposer sous peine de dévoiler un peu trop l'intrigue de l'histoire de Wook et donc de ruiner le plaisir de sa découverte. A la limite , je puis dire, sans trop trahir l'ouvrage, que l'on ne retrouve pas, à l'instar de « HnG », cet effet si particulier d’entraînement, ce besoin irrépressible de poser une pierre sur un goban alors même que l'on ne connaît pas le jeu. Dès lors, il me semble que le plaisir de la lecture de ce roman ne sera que plus fort si l'on possède déjà quelques notions de bases pour assurer le ressenti des subtilités de son histoire (au moins avoir déjà joué une petite dizaine de parties).
Ce roman témoigne, toutefois, d'une vraie écriture d'auteur « médecin », cela ne fait aucun doute. Le style est sec, précis, sans concessions, parfois d'une dureté et d'une concision propre à troubler le lecteur, mais tout cela ayant pour seul et unique objet de sublimer le propos et d'accroître l'empathie du lecteur envers les personnages. Moins il y a de fioritures stylistiques, plus le lecteur se doit de reconstruire les absences du récit, plus il se trouve ainsi immergé dans l'histoire qui lui est narré. Et en cela, l'auteur a réussi du très bel ouvrage.
Malheureusement pour nous, joueurs francophones, « First Kyû » ne sera probablement pas traduit dans notre langue puisque l'auteur lui-même a refusé de confier la traduction de son livre en anglais à une autre personne que lui-même afin que soient respectées le rythme propre à la langue coréenne et la force littéraire de son histoire (ma piètre traduction de la 4e de couverture devrait, à nouveau, vous convaincre de la justesse et du sérieux de cet auteur ). Ainsi, sauf changement d'avis de la part des héritiers du Dr Sung-Hwa Hong, nous devrons lire ce livre en anglais. Cependant, et c'est là l'avantage d'une traduction en anglais par un auteur pour qui ce n'est pas la langue maternelle, le champ lexical utilisé reste tout à fait abordable et la lecture en version anglaise s'avère d'une approche relativement aisée.
Pour conclure, bien qu'il soit assez difficile à trouver de nos jours (n'essayez pas de le trouver sur Amazon, c'est de l'arnaque, j'ai réussi à ne le payer que 15 euros sur des sites spécialisés grâce à Mart1n - un grand merci à lui), essayez de ne pas passer à côté de ce roman qui vous procurera un bien beau et enrichissant moment de découverte de la pensée et de la vie d'un jeune joueur aspirant professionnel. Un bien bon bouquin en somme .
L'auteur : Né à Séoul en 1950, Sung-Hwa Hong a émigré à Vancouver en 1974. Il y obtint, en 1981, son diplôme de dentiste. Grand joueur amateur de Go, et reconnu pour son amour sans failles du jeu, il a remporté à deux reprises le tournoi de go canadien et fut également Vice-président de la fédération canadienne de Go. Il a également participé deux fois (en 1989 et 1995) aux championnat du monde de go amateur au Japon, en tant que représentant du Canada. Il est décédé le 21 septembre 2001 à Vancouver.
Dernière édition par Catlois le Dim 14 Avr 2013 - 20:24, édité 2 fois